Anthologie de Tanger, II/X
"Tanger, c’est tout autre chose, comme un creuset qui enfanterait des rêves, comme un berceau propice à la création. Ne me demande pas pourquoi : je ne le sais pas. J’aimerais te faire comprendre et partager cette magie qui ne s’explique pas. Elle est. Tout simplement. Et ainsi, elle me porte. Elle me tue aussi. Il arrive que, parfois, elle m’inspire. C’est pourquoi je l’accepte. Si ce n’est pas vrai, laisse-moi au moins le croire. Peux-tu accepter l’idée qu’une ville puisse ainsi…
L’émotion visiblement mal contenue, Julia interrompit son propos. Le garçon du Café Tingis s’affairait auprès d’eux : tel un jongleur de cirque provincial, il retenait en équilibre instable les deux cafes con leche, posés sur un plateau en plastique qui avait dû, neuf, être transparent. Il fit semblant d’essuyer la table avec un chiffon gras qui laissa plus de traces qu’il n’en enleva, et, en grommelant, posa les deux tasses, deux verres d’eau fraîche, enfin quelques mouchoirs en papier de soie, serrés dans un petit présentoir marqué aux couleurs du Tingis."
Sable bleu, Jan Van Aal, 1996. (p. 75)
Le passage met en valeur l’apport de Tanger dans la création artistique. Tanger la muse. C’est ainsi qu’en témoigne l’Histoire de la ville. Le lecteur est invité à découvrir et partager le charme captivant de Tanger à travers le regard subjectif de Julia. L’évocation de Tanger, pour elle, ne peut se faire sans émotion : « L’émotion visiblement mal contenue, Julia interrompit son propos ». Tanger est puissante par sa simple existence : « Elle est. Tout simplement. »
Le second paragraphe met l’accent sur la dextérité du garçon du Café Tingis à servir les deux cafés. Le narrateur laisse entendre son ironie sur la malpropreté du lieu : « il fit semblant d’essuyer la table avec un chiffon gras qui laissa plus de traces qu’il n’en enleva. »